Pierre MASSE mérite à plusieurs titres un hommage particulier. Il fut un parlementaire dévoué à la France, pour laquelle il a combattu durant la Première Guerre mondiale, ainsi qu’un talentueux avocat face à la montée de l’antisémitisme. Après avoir été élu député en 1914, il abandonne la vie parlementaire en 1919 pour se consacrer à ses activités professionnelles, avant de devenir sénateur de l'Hérault en 1938 sous l’étiquette radical indépendant. Arrêté en août 1941, interné à Drancy, déporté à Auschwitz où il meurt en 1942, il reste jusqu’à la dernière heure tout emprunt d’humanité.
De gauche à droite : MM. Pierre Masse, Paul Boncour, G. Strauss : [photographie de presse] / Agence Meurisse - © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pierre MASSE est né le 13 décembre 1879 à Ribérac en Dordogne. Il passe son enfance à Orléans, puis à Besançon. Inscrit en 1896 à la Faculté de droit de Montpellier, il prête serment en 1899, devenant le plus jeune avocat de France. Il rédige une thèse innovante sur le droit moral de l’auteur et devient docteur en droit de la Faculté de Paris en 1906. L’année suivante, il est élu comme conseiller général de Lunas (département de l’Hérault). Il occupe cette fonction jusqu’en 1941. Il contribue à ce titre à la rénovation du réseau routier dans ce canton, ainsi qu’à l’amélioration de la distribution de l’eau, de même qu’à l’accès à l’électricité et au téléphone. Élu député de Lodève, en 1914, il s’engage volontairement dans une unité combattante après la déclaration de la guerre.
Distingué pour son courage, Pierre MASSE reçoit la croix de guerre et la Légion d’honneur. De retour au Parlement, il défend la mise en place de soutiens financiers en faveur des familles des soldats au front, ainsi que des réformés retournant à la vie civile. En 1917, il est appelé dans le cabinet Paul PAINLEVÉ en qualité de sous-secrétaire d’État à la Guerre, chargé du contentieux et des pensions. Le contexte général est délicat, car il faut alors trouver un juste équilibre entre fermeté et apaisement face aux mutineries. Suite à la chute du gouvernement PAINLEVÉ, en novembre 1917, Pierre MASSE retourne à ses fonctions de député jusqu’en 1919.
Dès 1920, Pierre MASSE se consacre à sa carrière d’avocat. Son cabinet compte alors parmi les plus réputés de Paris. Fin civiliste, spécialisé dans la propriété littéraire, il conseille et défend de nombreux artistes et hommes de lettres dont Sacha GUITRY. Il revient au Parlement en 1938, comme sénateur de l’Hérault sous l’étiquette radical indépendant. La Seconde Guerre mondiale ne lui permet pas de s’investir dans de nouveaux travaux parlementaires. Le 10 juillet 1940, à Vichy, il tente vainement, avec Jean BOIVIN-CHAMPEAUX, d'obtenir de Pierre LAVAL l'inscription dans la nouvelle Constitution de la garantie des libertés individuelles.
Opposé à la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs » ayant pour effet d’introduire un ensemble d’interdictions et de restrictions à leur encontre, notamment le droit d’être officier dans l’armée française, Pierre MASSE adresse à Philippe PÉTAIN une première lettre au retentissement considérable. Conscient de la gravité de cette loi mais toujours fidèle à la République, Pierre MASSE termine ce courrier en ces mots : « Je tiens à me conformer aux lois de mon pays, même quand elles sont dictées par l’envahisseur. » Il écrit en 1941 un second courrier de protestation contre la circulaire demandant aux sénateurs de faire connaître leurs origines.
Poursuivant son activité d’avocat, Pierre MASSE s’expose en défendant l’auteur dramatique, Henry BERNSTEIN, diffamé pour ses origines juives. Quelques mois plus tard, il est arrêté puis enfermé dans les camps de Drancy, de Compiègne Royallieu ainsi qu’à la prison de la Santé. Malgré le mauvais traitement dont il fait l’objet, il affronte cette épreuve avec courage. Il écrit ses Mémoires, ainsi que deux célèbres lettres d’adieu à l’attention de son bâtonnier et de son épouse. Clairvoyant sur le sort qui l’attend, il écrit dans la première lettre « Je suis appelé. Je vais probablement mourir. Je suis venu ici comme avocat. Je mourrai, j’espère dignement, pour ma Patrie, ma Foi et mon Ordre ». Dans la seconde lettre plus personnelle, il laisse entrevoir son désespoir en écrivant : « Je pars probablement pour toujours. Je t’aime et je te remercie du plus profond de moi. Je bénis mes enfants que j’adore. Je te recommande à eux. J’ai fait mon devoir. Je paie mon attachement à la France. Je ne regrette qu’elle et vous. Ne pleure pas trop. Je mourrai en soldat. Embrasse maman et les nôtres. » Il est finalement déporté le 30 septembre 1942 pour Auschwitz, avant de disparaître dans le camp de la mort, probablement au cours du mois d’octobre 1942.
Robert BADINTER lui rendra hommage en ces termes : « À ces moments ultimes de sa vie, je suis convaincu que Pierre Masse est demeuré, comme tous ceux qui l’ont connu dans les camps l’ont décrit, calme, résolu, attentif aux autres, soutenant les plus faibles jusqu’au bout. Marchant ainsi parmi ses compagnons de mort vers la chambre à gaz, Pierre MASSE a incarné l’humanité martyrisée face à ses bourreaux. »