L’École nationale des chartes forme depuis 1821 les archivistes-paléographes à la conservation et à la valorisation des documents d’archives. Spécialistes en histoire du droit et des institutions, plusieurs de ses élèves ont embrassé une carrière politique.
Entrée de l'École des chartes rue de Bracque, [dessin] XVIIIe siècle / © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Installée successivement dans l’hôtel de Clisson, rue des Franc-Bourgeois, place de la Sorbonne et aujourd’hui rue de Richelieu, l’École des chartes enseigne à ses élèves la science des archives. Initialement destinés au service de l’État dans la fonction publique, cinq d’entre eux se lancent en politique sous la IIIe République et siègent au Sénat.
Issus de régions diverses, les « chartistes » entrés en politique sont marqués par un fort attachement à leur territoire : Guillaume BODINIER et Jules DELAHAYE naissent à Angers, respectivement en 1847 et 1851, Henry FOURNIER naît à Bourges en 1830, Roger GRAND à Châtellerault en 1874 et Thomas ROZIÈRE à Paris en 1820. Ils intègrent l’école parisienne après de brillantes études secondaires.
Au service des archives – patrimoine national – ils apprennent la paléographie – lecture des écritures anciennes – et la sigillographie – interprétation des sceaux – alors que le droit est encore, à l’avènement de la République, fortement empreint de tradition monarchique. Ils appréhendent également l’histoire des institutions pour saisir, dans une perspective historique, les rouages institutionnels des différents régimes politiques.
Une fois leur diplôme en poche, les chartistes sont généralement envoyés dans les centres de conservation des archives de l’État : aux Archives nationales, au niveau gouvernemental dans chaque ministère, ainsi qu’au niveau départemental, dans chaque préfecture, à l’instar de Roger GRAND, archiviste départemental du Cantal en 1898.
L’influence des sociétés savantes locales auxquelles ils appartiennent amène ces érudits à occuper des fonctions de représentation au cœur des territoires – notamment Henry FOURNIER, conseiller général du Cher pour le canton de Levet en 1869 – avant de se présenter parfois aux élections législatives ou sénatoriales, soutenant les idées de différents courants politiques : Thomas ROZIÈRE est élu sénateur de la Lozère en 1879 (centre gauche) ; Guillaume BODINIER, dans le Maine-et-Loire en 1897 (droite) ; Roger GRAND, sénateur du Morbihan en 1927 (union républicaine) ; Henry FOURNIER, élu en 1871 sénateur du Cher (orléaniste) et Jules DELAHAYE, dans le Maine-et-Loire en 1920 (monarchiste).
Le Journal Officiel des débats garde trace des interventions de ces sénateurs à la tribune, tandis que les éloges funèbres témoignent de leurs personnalités respectives. Le 12 octobre 1922, le Président Léon BOURGEOIS, salue ainsi en Guillaume. BODINIER un homme « qui savait défendre une cause sans blesser ses adversaires ». Sur un tout autre ton, le Président de SELVES, fait valoir, le 21 avril 1925 au sujet de Jules DELAHAYE que « de tels caractères ne cherchent pas à provoquer la sympathie, mais imposent le respect » : ce sénateur du Maine-et-Loire avait réclamé, alors que la première Guerre mondiale faisait rage, une République « aussi continue, aussi cohérente, aussi forte qu'une monarchie ».
Scientifiques érudits, les « sénateurs-chartistes » sont engagés dans de nombreuses sociétés comme rédacteur de presse, membre de sociétés savantes locales et parfois professeur d’université. Henry FOURNIER fait partie des fondateurs et rédacteurs principaux de la Revue du Berry, et de la Société historique du Cher. Roger GRAND soutient en 1898 une thèse d’histoire socio-économique locale sur l’évolution du contrat de « complant » – un mode d’exploitation agricole médiéval toujours en usage à la Révolution. Thomas ROZIÈRE occupe pendant 25 années la chaire d’histoire du droit à l’École des chartes.
La connaissance des actes juridiques et législatifs donne aux « sénateurs-chartistes » une forme « d’expérience théorique », de même que leur connaissance de l’histoire des institutions. Ils ont ainsi participé aussi bien à la valorisation du patrimoine à l’échelle locale qu’à l’élaboration de la loi au service de notre pays.