Poète, traducteur et académicien, Charles LECONTE DE LISLE (1818-1894) fut l’un des esprits les plus érudits de son temps. Déçu par l’avènement de l’Empire en 1852, il se retira des cercles du pouvoir mais conserva un lien avec le monde de la politique en occupant, de 1871 à sa mort, la fonction de bibliothécaire au Sénat.
Leconte de Lisle, [photographie] atelier Nadar, édition 1875-1895 / © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Charles Marie René LECONTE DE LISLE naît le 22 octobre 1818 à Saint-Paul sur l’île Bourbon (actuelle île de la Réunion). Sa famille voyage régulièrement de l’océan Indien vers la métropole, et c’est en Bretagne que le jeune Charles obtient le baccalauréat en 1838 avant de se lancer, sans grand enthousiasme, dans des études de droit à Rennes, couronnées par un diplôme en 1841. Bouleversé par Les Orientales de Victor HUGO, il compose dès l’enfance des poèmes. Plus tard, il fondera de petits journaux satiriques : La Variété et Le Scorpion.
Monté à Paris en 1845, il rencontre Victor CONSIDÉRANT ainsi que plusieurs membres du mouvement fouriériste tel le blanquiste Paul de FLOTTE. Ce mouvement, dit utopiste, imagine une société communautaire où la vie serait organisée dans un phalanstère, ensemble de bâtiments conçus pour permettre aux habitants de vivre en autonomie et en autarcie, comme un grand monastère laïc. LECONTE DE LISLE publie régulièrement dans les colonnes des journaux fouriéristes, notamment La Phalange et La Démocratie pacifique.
Lors des élections de la IIeRépublique, en 1848, il se présente comme député des Côtes-du-Nord (actuelles Côtes-d’Armor) et soutient l’abolition de l’esclavage… mais subit un crucial échec et renonce à la politique pour se consacrer à la littérature.
Dépourvu de fortune, alors qu’il a la charge de sa mère et de ses deux sœurs depuis 1846, il accepte en 1864 une modeste pension de l’État sous le second Empire (1852-1870), qui lui sera reprochée par ses anciens amis républicains après la chute de Napoléon III. Ses autres revenus sont essentiellement issus du prix de ses traductions, notamment des grandes œuvres classiques grecques d’Homère, Hésiode, Sophocle, Eschyle et Euripide. Il reçoit en 1870 la Légion d’honneur et succède, le 28 décembre 1871, à François COPPÉE au poste de sous-bibliothécaire au Sénat, emploi qu’il occupera jusqu’à sa mort, le 17 juillet 1894. Construite lors de l'agrandissement du palais du Luxembourg, la Bibliothèque occupe l’aile sud du monument, faisant face aux jardins. LECONTE DE LISLE y travaille aux côtés de Charles-Edmond Chojecki, dit Charles Edmond (écrivain, critique littéraire et journaliste), d’Auguste LACAUSSADE (poète, traducteur, journaliste et son compatriote réunionnais), de Louis Ratisbonne et d’Anatole FRANCE.
Durant ses années parisiennes, il fréquente les personnalités littéraires du temps, notamment au salon de Louise COLET où il rencontre Alfred de VIGNY, Victor COUSIN et Gustave FLAUBERT. D’abord rattaché au mouvement romantique, il participe de l’esthétique de « l’art pour l’art » à la suite de Théophile GAUTIER. LECONTE DE LISLE développe ensuite cette philosophie artistique en fondant les principes du Parnasse – rejeter le romantisme subjectiviste pour chanter la Beauté formelle et impersonnelle – avec un groupe de poètes, tels José-Maria DE HEREDIA, Théodore DE BANVILLE, Léon DIERX, Sully PRUDHOMME, VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Catulle MENDÈS et François COPPÉE. Il sera, avec Théodore DE BANVILLE, le chef de file du mouvement parnassien.
Dans le sillage d’Ernest RENAN, son esthétique s’inspire des mythes et religions antiques, tandis que sa pensée revêt la forme d’un néo-paganisme hellénique qui l’inscrit dans la lignée de Louis MÉNARD et de Thalès BERNARD. Plus original, son panthéisme naturaliste s’inspire aussi de la littérature et de la philosophie de l’Inde (« La Vision de Brahma », « Baghavat », « La mort de Valmiki », « Prière védique », etc).
Essentiellement versifiée, l’œuvre littéraire de LECONTE DE LISLE se compose de trois principaux recueils : les Poèmes antiques, les Poèmes barbares et les Poèmes tragiques. À côté de « Midi », l’une de ses poésies les plus célèbres s’intitule « Les Éléphants », parue dans Poèmes barbares, publiés en 1862, qui décrit les majestueux animaux dans des plaines désertiques. Après deux candidatures infructueuses en 1873 et 1877, il est élu au quatorzième fauteuil des Immortels de l’Académie française où il succède à Victor HUGO qui l’avait expressément désigné, contrairement aux usages, pour être son successeur. Il y est reçu le 31 mars 1887.