Les acteurs du débat public, pour une large partie d’entre eux, ont abordé jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle la question de la décentralisation avec beaucoup de circonspection. Le résultat du référendum organisé par le général de GAULLE en 1969 a d’ailleurs un temps renforcé cette tendance, bien que la majorité des suffrages exprimés en faveur du NON ait sans doute répondu davantage à la question de la poursuite de l’exercice du mandat du Président de la République en fonction, qu’à celle de l’avenir des régions. Un autre projet de création et d’organisation des régions devait finalement aboutir, en 1972.
Pierre SCHIELÉ, sénateur groupe Union centriste du Haut-Rhin
Après les évènements de mai 1968, le général de GAULLE choisit de placer au cœur du débat public la question d’une réforme de l'organisation territoriale, dans l’objectif de renouveler sa légitimité devant le suffrage universel. Le rejet du projet « relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat », repoussé par 52,41% des suffrages lors du référendum du 27 avril 1969, ne mit cependant pas fin au débat sur la décentralisation. En 1972, sous la présidence de Georges POMPIDOU, un nouveau projet de loi fut adopté par l’Assemblée nationale et par le Sénat, au terme d’une navette parlementaire conclue par le succès des travaux de la commission mixte paritaire.
Le sénateur Pierre SCHIELÉ, rapporteur du texte pour la commission des lois avait pleinement conscience de l’importance du projet : « Il est vrai, déclarait-il, que l'entreprise est de taille, car selon la manière dont la régionalisation s’inscrira dans nos institutions, elle marquera un tournant décisif dans le mode de vie des hommes de ce pays et accélérera ou, au contraire, freinera la construction de la démocratie tant à l’intérieur qu'à l’échelle européenne. ».
La loi n° 72-619 du 5 juillet 1972 créa et organisa la région en tant qu’établissement public, personne morale soumise au principe de spécialisation, aux compétences initialement limitées. La principale mission des régions consistait à contribuer au développement économique et social de leur territoire, tout en respectant les attributions des départements et des communes.
Le choix de la formule de l’établissement public régional (EPR) se voulait pragmatique. Pour le Premier ministre, Jacques CHABAN-DELMAS, cette formule permettait d’éviter la création d’un « écran supplémentaire » entre l'État et les collectivités locales. L’objectif recherché visait à donner aux régions un cadre d’action tout en préservant les compétences des départements et des communes, sans provoquer de déséquilibre majeur.
Le rapporteur Pierre SCHIELÉ résumait en ces termes le compromis élaboré entre les deux chambres du Parlement : « L’Assemblée nationale a tenu compte de nos observations. Nous disions que la région était d’abord une entité territoriale et nous désirions marquer ce caractère de territorialité en précisant que la circonscription d’action régionale devenait une région, administrée par un établissement public auquel nous n’avions pas accordé un nom particulier. »
La loi n° 72-619 du 5 juillet 1972 ne se limita pas à une simple réforme administrative. Elle marqua une étape fondamentale dans l'évolution de la vie politique française, en y consolidant la place des collectivités locales, tendance qui s'affirmera toujours davantage au fil des décennies suivantes.
Le Sénat, représentant des collectivités aux termes des dispositions de l’article 24 de la Constitution, a joué un rôle crucial dans le processus d’intégration des régions dans le paysage institutionnel français.
Le découpage régional mis en œuvre en 1972 perdurera jusqu’à la réforme territoriale de 2015, laquelle réduira le nombre de régions, mais renforcera leur rôle et leurs compétences.