L’article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée le 26 août 1789 dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a mis en œuvre ce principe, de telle façon à ce qu’il s’applique pleinement dans les faits.
Publicité pour Le Nouveau Journal (1880) - © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Le 5 juillet 1880, Eugène Lisbonne, député de l’Hérault, dépose sur le bureau de la Chambre des députés le rapport de la commission chargée « d’examiner les diverses propositions de lois présentées sur l’abrogation des lois restrictives de la liberté de la presse et de rédiger un projet de règlementation et de codification ». La proposition de loi sur la liberté de la presse est ensuite débattue, adoptée, puis transmise le 24 février 1881 à la seconde chambre du Parlement.
Au Sénat, une commission formée de 9 sénateurs examine la proposition de loi. Le rapport « Pelletan » est déposé le 18 juin 1881, accompagné d’une demande d’urgence avant que ne se déroule la discussion du texte, du 9 au 16 juillet suivants. Les modifications apportées par le Sénat illustrent le pouvoir modérateur que la Constitution lui a conféré : nuances, modulations des sanctions, éclaircissements et précisions des articles clarifient le texte, de sorte que, transmis à la Chambre des députés, il est adopté par celle-ci sans modification le 21 juillet. La loi est promulguée le 29 juillet 1881.
Dans son rapport, le sénateur Eugène Pelletan, rappelle l’influence du pouvoir politique sur la presse en affirmant qu’« Il y a autant de lois de la presse qu’il y a eu de gouvernements en France depuis cinquante ans ; quelques-uns même en ont édicté plusieurs pour corriger celles de la veille par celle du lendemain ; tous les ont soigneusement adaptées à leur principe et les ont subordonnées à ce qu’ils regardaient comme leur salut » avant de déclarer que « l’honneur de la République est de donner au pays une loi de la presse conforme à son principe. Qui dit peuple souverain dit peuple libre. »
La presse passe, en France, d’un régime de contrôle préventif a priori à un régime libéral de contrôle a posteriori. Le texte repose sur deux orientations principales : l’affirmation de la liberté de la presse, d’une part, ainsi que sa contrepartie en termes de responsabilité, d’autre part.
Du côté de la liberté, l’article premier dispose que « l’imprimerie et la librairie sont libres. ». L’article 5 précise que « tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation au préalable, et sans dépôt de cautionnement. »
Les mesures préventives sont abrogées : plus de cautionnement obligatoire avant parution, ni d’autorisation préalable ni de censure. Le délit d’opinion disparaît car « la loi ne punit que l’acte ; la pensée n’est pas un acte » selon la formule du rapporteur Eugène Pelletan. Les impôts sur le papier et le timbre qui renchérissaient le prix du journal sont également abrogés.
Désormais libre, la presse n’en n’est pas pour autant exonérée de ses responsabilités.
Afin de permettre le contrôle et la sanction a posteriori des faits contraires à la loi, le texte dresse la liste des informations nécessaires pour identifier en tant que de besoin les contrevenants (obligation de fournir des informations préalables fiables). Il prévoit aussi la responsabilité de chacun des intervenants par le biais d’un système de « cascade » (seront passibles de sanctions, comme auteurs principaux, les gérants ou éditeurs, à défaut, les auteurs, à défaut, les imprimeurs et enfin les vendeurs, distributeurs ou afficheurs selon l’article 40).
Le texte dresse, pour les réprimer, une liste de crimes et délits nommés, définis et objectifs : la diffamation, la provocation au meurtre, l’outrages aux bonnes mœurs, la provocation des militaires à la désobéissance, l’offense au Président de la République. S’y ajoutent les peines encourues par leurs auteurs.
Le texte prévoit enfin une amnistie et des dispositions transitoires.
Revenant sur la contribution de la presse – en particulier de la presse bon marché – à la vie démocratique, le sénateur Eugène Pelletan observait que « cette parole présente à la fois partout et à la même heure, grâce à la vapeur et à l’électricité, peut seule tenir la France tout entière assemblée comme sur une place publique. »
Alors que le Parlement débattait en séance publique de projets aussi divers que la construction d’une école normale d’institutrices dans le Nord, les travaux sur des chemins de grande communication dans l’Oise, la construction de canaux navigables et la déclaration d’utilité publique de chemin de fer, le débat sur la grande loi de 1881 témoigna de l’affirmation de la République, six ans après le vote des lois constitutionnelles de 1875.