En juin 1971, le Gouvernement entreprend de modifier la grande loi républicaine du 1er juillet 1901 sur les associations, afin de soumettre leur création, dans certains cas, à un contrôle préalable. Le projet de loi déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale met en cause, ce faisant, le principe fondamental de liberté de formation et de déclaration des associations. Inspiré par le ministre de l’Intérieur, Raymond MARCELLIN, dans le contexte des évènements consécutifs à 1968, ce texte controversé cherche, en effet, à lutter contre la reconstitution, sous la forme d’une association, d’une organisation politique dissoute.

Alain POHER - © Archives du Sénat (10Fi490)

La loi du 1er juillet 1901 que le Gouvernement souhaite modifier prévoit que pour obtenir la personnalité morale les associations doivent être déclarées auprès de la préfecture contre la délivrance d'un récépissé, indispensable pour obtenir une publication au Journal officiel. La jurisprudence prévoit également que ce récépissé est remis immédiatement, sans préjudice d’une éventuelle annulation ultérieure.

Le projet de loi permet à l’administration de retarder la délivrance du récépissé jusqu'à ce qu'une décision judiciaire soit prise.

Il a pour effet de limiter la capacité de créer des associations afin de s'assurer que les associations respectent les lois en vigueur et ne portent pas atteinte à l'ordre public ou à l'intégrité du territoire national.

À l’Assemblée nationale, le projet de loi fait l’objet de vives discussions. Le rapporteur de la commission des lois, Claude GERBET, qui défend le texte, n’est pas suivi par celle-ci.

Au Sénat une forte opposition s’exprime également. Pierre MARCILHACY, sénateur de la Charente et expert en droit constitutionnel, dépose quant à lui une question préalable. Il soutient que le projet de loi introduit une nouveauté par rapport à la législation et aux pratiques antérieures, innovation contraire à l'article 4 de la Constitution relatif à la liberté de constitution des partis et groupements politiques qui revêtent souvent, juridiquement, la forme associative.

Pierre MARCILHACY fait valoir que la Constitution n’admet que le contrôle a posteriori et non celui a priori prévu par le Gouvernement. Il s’ensuit que les dispositions proposées, « si elles concernent de nombreuses associations sans buts politiques, visent aussi les partis politiques, ne peuvent ni faire de distinctions entre les uns et les autres, ni être admises sans violer expressément le texte constitutionnel susvisé. »

Par 129 voix contre 104, le Sénat adopte cette question préalable le 28 juin 1971, rejetant le dispositif législatif proposé par le Gouvernement. Mais l’Assemblée nationale persiste et vote en dernière lecture le projet de loi le 30 juin suivant.

Une seule voie de droit reste ouverte pour faire prévaloir la thèse du Sénat – l’inconstitutionnalité du texte : saisir le Conseil constitutionnel ce que ne peuvent faire, à l’époque, que le Président de la République, le Premier ministre et chacun des présidents des deux Assemblées. L’initiative décisive revient à Alain POHER, alors Président du Sénat. Il saisit le Conseil constitutionnel le 1er juillet 1971, soixante-dix ans, jour pour jour après le vote de la loi de 1901.

Alain POHER écrira dans ses mémoires : « Depuis sa création, le Conseil constitutionnel ne s’était prononcé que sur la régularité du fonctionnement des pouvoirs publics. […] Je lui demandai, moi, de juger si une loi était conforme non pas à la Constitution – dans aucun de ses articles il n’était fait référence à la liberté d’association – mais à son Préambule, qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au Préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel, conformément à mon vœu, se pencha donc sur la loi Marcellin en fonction du Préambule, considérant que celui-ci et la Constitution formaient un "bloc de constitutionnalité". »

Le Conseil constitutionnel donna raison au Président du Sénat, par sa décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Cette dernière revêtait une portée historique, car, pour la première fois, le juge constitutionnel élevait la liberté d'association « au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution ». Il consacrait également, par là même, la valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1958, au sein du bloc de constitutionnalité dans les termes suivants, dans son deuxième considérant :

« 2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire. »