Le contrôle de l’action gouvernementale et l’évaluation des politiques publiques figurent parmi les missions du Sénat exposées à l’article 24 de la Constitution. Leur exercice s’appuie en particulier sur le travail des commissions d’enquête, ainsi que l’illustrent les conclusions du rapport, adopté le 4 juillet 2023, sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française.
Guérison radicale des maladies de la peau : [affiche] - © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’article 24 de la Constitution de 1958 dispose que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Ce contrôle s’exerce tant en séance publique, que grâce aux questions écrites des sénateurs, aux travaux des commissions permanentes, des délégations ou de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), ainsi que des structures temporaires (commissions d'enquête et missions d'information communes).
Sur décision de la conférence des Présidents et à l’initiative d’un groupe politique usant de son droit de tirage annuel ou des présidents des commissions permanentes, le Sénat peut créer des missions d'information destinées à approfondir l’étude d’une question déterminée. Elles ont les mêmes pouvoirs d’information, de contrôle et d’évaluation que les commissions permanentes.
Les commissions d'enquête, de tradition fort ancienne, constituent un autre instrument majeur à la disposition des assemblées parlementaires pour recueillir des informations et contrôler l’action du Gouvernement. Elles sont formées pour recueillir des éléments d'information portant sur des faits déterminés ou sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales.
La création d’une commission d’enquête -dont les travaux ne peuvent dépasser six mois- témoigne de la volonté du Sénat de se saisir d’un problème important comme, en 2023, la pénurie de médicaments.
En 2017 l’opinion publique s’était déjà émue d’informations relatives à des ruptures de stock portant sur 500 médicaments, y compris ceux destinés à lutter contre les cancers, la maladie de Parkinson ou encore des vaccins. Le Sénat avait créé, en 2018, une mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, présidée par M. Yves DAUDIGNY (Aisne - Groupe socialiste et républicain), ayant pour rapporteur M. Jean-Pierre DECOOL (Nord - Les Indépendants République et Territoires).
Dans le rapport d’information n° 737 (2017-2018) adopté à l’issue des travaux de la mission, le rapporteur souligne l’ampleur du problème : « Largement sous-estimé dans le débat public, le phénomène des pénuries de médicaments est pourtant de plus en plus prégnant et entraîne, outre des conséquences sanitaires majeures, des risques financiers importants ainsi qu’un gaspillage de temps médical et logistique à tous les niveaux de la chaîne du médicament. Il contribue ainsi à la déstabilisation de notre système de soins en même temps qu’il traduit une perte d’indépendance sanitaire préoccupante pour la France comme pour l’Europe. »
Le rapporteur de la mission d’information sénatoriale distingue deux causes de pénurie : les difficultés de production et les difficultés d’approvisionnement.
La crise sanitaire de 2020 consécutive à la pandémie de Covid 19 n’ayant pas modifié ce constat, le Sénat décide de se saisir derechef du problème, en constituant une commission d’enquête.
En effet, au cours de l’hiver 2022-2023 surviennent de nouvelles pénuries de médicaments d’usage courant (amoxicilline, paracétamol…) : les épidémies de Covid, de grippe et de bronchiolite cumulent leurs effets pour entraîner de nouvelles tensions sur le marché du médicament, alors que surviennent des difficultés d’approvisionnement en matières premières consécutives à la guerre en Ukraine.
Dans ce contexte, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) demande la création d’une commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, afin de faire toute la lumière sur les causes de ces pénuries et de proposer des solutions concrètes pour y remédier.
Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice (UC) du Calvados est la présidente de la commission d’enquête, dont Madame Laurence COHEN, sénatrice (CRCE) du Val-de-Marne, est rapporteure. Lors de la réunion constitutive du 1er février 2023, la présidente rappelle que 37% des Français ont déjà été confrontés à une rupture d’approvisionnement de médicament.
Durant ses travaux, la commission d’enquête sénatoriale s’intéresse au modèle économique de l’industrie du médicament : certains nouveaux traitements sont en effet commercialisés à des niveaux de prix qui compromettent l’accès de tous aux soins et interrogent sur la capacité du système de santé à faire face à de telles dépenses.
Adopté le 4 juillet 2023, le rapport n°828 (2022-2023) se conclut par des préconisations techniques et administratives visant à lutter en urgence contre les pénuries, tout en s’attaquant aux causes structurelles des tensions et des ruptures.
Il déplore que la production sur le territoire français soit insuffisante et que les médicaments soient considérés comme des marchandises, ce qui conduit à fabriquer prioritairement ceux qui sont rentables - les médicaments innovants - au détriment des autres. Les médicaments dits matures, dont le prix de vente est bas, comme l'amoxicilline ou le paracétamol, sont les premiers à en pâtir. À ces facteurs économiques s’ajoutent l'absence d’anticipation et la mauvaise gestion des problèmes.
La commission d’enquête du Sénat préconise, en conséquence, de relocaliser la production des médicaments, d’étudier la possibilité de fixer les prix selon leur degré de maturité commerciale, de développer des aides sous conditions pour les entreprises du secteur, tout en améliorant le pilotage de la politique européenne du médicament, recommandations qui restent d’actualité.