La Constitution de la IVe République promulguée le 27 octobre 1946 conserve le principe du bicamérisme mais procède à une modification sémantique lourde de sens. La Chambre des députés de la IIIe République devient l’Assemblée nationale en référence à celle de 1789 alors que le Sénat prend le nom de Conseil de la République.
Insigne parlementaire du Conseil de la République - © Archives du Sénat
L’existence même du Sénat a été remise en cause par certains partis à la Libération. Le premier projet de Constitution proposait de mettre fin au bicamérisme et de remplacer le Sénat par deux organes consultatifs, le Conseil économique et le Conseil de l’Union française. Mais le « non » l’emporta au référendum constitutionnel du 5 mai 1946 et une nouvelle Assemblée constituante fut désignée. Le second projet de constitution réintroduisit une seconde chambre sans lui accorder des pouvoirs identiques à ceux de l’Assemblée nationale. La Chambre haute devenait le Conseil de la République, réduit à un rôle consultatif, l’Assemblée nationale étant la seule à voter les lois. Le projet fut adopté et promulgué en octobre 1946 : la IVe République était née.
Lors de la séance du 16 décembre 1948 du Conseil de la République, l’ordre du jour appela la discussion d’une proposition de résolution tendant à modifier l’article 1er de son règlement pour qu’il prévoie que « Les membres du Conseil de la République portent le titre de sénateurs, membres du Conseil de la République. »
Parmi les arguments justifiant le retour au titre de sénateur figurait la confusion entretenue par un vocable trop générique déjà appliqué à plusieurs catégories de représentants élus mais également la perte de prestige et d’autorité d’une assemblée qui restait pourtant l’une des deux composantes du Parlement français.
Bien que parmi les sept conseillers signataires de la résolution, un seul ait été sénateur sous la IIIe République, les débats entre gauche et droite furent brefs mais vifs. À « la nostalgie des faisceaux de licteurs et de la francisque » on opposa la crainte de « la faucille et du marteau ». Les uns crièrent à l’« escroquerie », évoquant leur passé dans la clandestinité, rappelant les heures sombres du régime de Philippe PÉTAIN et affirmant que « beaucoup d'amis du vieux traitre s’étaient donné rendez-vous dans cette Assemblée » avant d’invoquer GAMBETTA. Marie ROCHE, élue communiste de Seine-et-Oise, une des 21 premières femmes conseillères, dénonça le constant « antiféminisme » du Sénat de la IIIe République.
André SOUTHON, conseiller socialiste de l’Allier, fut définitif : « Les sénateurs ont disparu. Je m’en excuse auprès de nos collègues anciens sénateurs qui, eux, sont bien vivants et sont devenus aujourd’hui de jeunes conseillers de la République. La Constitution de 1946 a créé le Conseil de la République. Vivent donc le Conseil de la République et les conseillers de la République ! »
« Nous n’annulons pas le titre de conseiller de la République, mais nous le préfaçons et nous désirons nous appeler sénateurs et éventuellement, pour les gens qui ont du temps à perdre, conseillers de la République » lui répondit, non sans humour, Georges LAFFARGUE lors des débats.
D’autres orateurs rendirent hommage aux sénateurs morts pour la France et tentèrent d’apaiser le débat en rappelant qu’il s’agissait de l’ajout d’un mot à l’article 1er du règlement du Conseil de la République et non d’une modification de la Constitution…
La résolution fut adoptée par 206 voix pour et 93 contre.
Le débat sur la réintroduction du terme « sénateur » pourrait paraître anecdotique s’il n’était pas révélateur d’une discussion de fond sur le rôle du Sénat au sein des institutions que tranchera le constituant en 1954 en rendant ses pouvoirs législatifs au Conseil de la République et en 1958 en rétablissant le Sénat de la République.